mercredi 31 octobre 2012

La lettre,,,,,


Une boîte de chaussures, peux-tu croire çà, dans une boîte de chaussures tu peux rassembler toute une vie, les souvenirs des moments importants de toute une vie.
Baptistères, avis de décès,  souvenirs de première communion, de confirmation, de noces.
Artefacts soulignants les étapes, joyeuses ou tristes, cruciales ou insignifiantes.

Des photos.

Quelques classiques.

Une fillette avec des tresses, sans stress ni détresse, s'agitant vigoureusement sur la balancinne, les balançoires ça été inventé plus tard, les yeux fermés, le sourire d'une oreille à l'autre, aujourd'hui devenue une frêle grand maman, châle sur les épaules, kleenex dans la manche.


Deux gamins en costume de bain, émulants les vedettes de l'époque, flexants leur timides "mosselles", se préparent au match de leur carrière,,,,,"Chu Edouard Carpentier,,,,non, non, cé moué Edouard Carpentier,,,,,non té Killer Kowalsky,,,,,non cé toué Kowalsky,,,,la dernière fois t'as été Carpentier,,,,,ok mais tu vas wouerre Kowalsky yé rendu fort en mautadit"
Avec la mére dans les environs, valait mieux surveiller son language, un "maudit" ça passait pas.

La traditionnelle, la famille devant le nouveau char.

Les mononcles et les matantes dans la cour.

La classe de morveux.

Finalement celle-ci à propos de laquelle je tiens à déclarer deux choses;
 1-Ce n'est pas moi sur la photo.
2-Y en a une quasi identique qui traine à quelque part dans la famille, et qui est de moi, que de souvenirs que cette petite auto à pédales.


Quand je dis boîte de chaussures, je caricature un peu, mais tout de même, tu dois piger l'idée.
Dans ma famille, la boîte de chaussures, c'est plutôt une bibliothèque de style antique.
Oh pas une antiquité, une vieillerie mettons.

               Mode de conservation de  
               souvenirs, 1950,,,,,,,




               Mode de conservation de     
              souvenirs, version 2012,,,,,,,



J'me suis retrouvé face à face avec cette boite à chaussures et j'y ai trouvé une lettre plutôt singulière.
Je sais que mon grand-père paternel ne savait pas écrire, cependant à cette époque il semblait y avoir dans chaque chantier éloigné, chaque camp de bûcherons deux ou trois type qui avaient  fréquenté l'école quelques années, et qui, se retrouvaient de facto, les écriveux officiels.
Dans ce cas ci, je me souviens avoir entendu la mére parler d'un genre de séminariste défroqué qui travaillait dans les mêmes chantiers que le pére et peupére.

                                                27 janvier 1947     
                                                                                                                           
Mon petit fils adoré, tout le monde a attendu le petit Jésus, il est arrivé, mais moi, c'est toi que j'attend.
Tu seras mon premier petit fils et tu n'imagine pas combien de belles choses t'attendent.
Tu réalises pas la chance que tu as de venir au monde dans ce monde moderne et merveilleux.
La guerre est fini depuis deux ans et on nous a promis qu'il n'y en aura plus jamais.

Bien sûr tu ne sais pas c'est quoi la guerre et n'aura pas à t'inquiéter avec ça, moi j'en ai connu deux et c'est horrible.
Mais aujourd'hui le Pape et la Sainte Église Catholique, les Présidents et les Premiers Ministres de tous les Pays du monde ont tous dit qu'ils travailleraient très fort pour installer la paix dans le monde, et ça pour toujours.

On dit aussi que bientôt les petits garçons comme toi vont pouvoir aller à l'école jusqu'à la septième année, et même plus loin, pas seulement les fils de riches.

Le travail sera aussi moins dur parcequ'ils vont inventer des machines mécaniques pour couper les arbres, construire des chemins, cultiver la sol, miner sous la terre, fabriquer  des camions, des tracteurs des machines
pour que les familles voyagent, ton père pense déjà a en acheter une, je me demande bien comment il va faire pour se payer ça, un bûcheron, c'est pas riche, en tout cas quand il parle de ça, je l'ostine pas, il est jeune et quand t'est jeune tu rêves, il faut pas enlever les rêves à la jeunesse, c'est tout ce qu'ils ont.
Toi, tu as été un rêve pour ton papa et pour ta maman et bientôt tu sera là.

La garde aussi a dit qu'on allait trouver des nouvelles pilules pour soigner toutes les maladies qui nous embêtent, surtout en vieillissant.
J'ai presque toujours mal aux épaules, aux poignets, aux jambes et j'ai cette toux creuse qui veut pas me lâcher.
Quand le foreman descend en ville, il me ramène du sirop et des pastilles, ça aide mais ça dure pas longtemps, j'ai hâte au printemps pour aller voir la garde.
L'autre jour y m'a passé comme une barre de fer au travers de l'estomac, il a fallu que je m'assise pour quinze minutes, le restant de la journée j'ai eu le souffle court. Peut-être qu'ils ont déjà trouvé une pilule pour ce que j'ai, je suis sûr que de voir ta belle petite face va me faire du bien en grand.

Ta mère a travaillé ici au camp jusqu'à la fin de novembre, ton père a été obligé de se choquer pour qu'elle arrête, je pense qu'il a acté un peu, il est pas capable de se choquer pour vrai, il a toujours été doux, non il était pas choqué pour vrai, c'est certain.

Elle est chez sa mère à elle, elle s'ennuie de son mari et de sa job, elle est la meilleure cook qui a passé ici depuis longtemps, ça fait que nous autres aussi on s'ennuie d'elle, de sa cuisine.

Comme ton père, c'est une grosse travaillante, elle doit fatiguer à rien faire.

J'ai assez hate de te voir, tu peux pas imaginer, je m'en vais me coucher, j'ai dû trop manger parceque j'ai de grosses crampes d'estomac, demain je vais mieux filler, je t'attend, c'est fou à dire mais je t'aime déjà.

                                                                                                           
                                                                                                                          Pépère Rosaire

En 1947 "infarctus du myocarde" et même "crise cardiaque" étaient des termes peu courants dans les couches de population moins éduquées, moins scolarisées, bref chez la vaste majorité des gens de cette époque.

On a donc conclut, quand on a trouvé Rosaire mort dans son lit au matin du 28 janvier 1947 qu'il avait été victime d'une indigestion aiguë.

Quelques jours plus tard, soit le 10 février, mes parents devenaient des parents pour la première fois.

Tu te souviens de la fillette à la balancine, devenue aujourd'hui une fragile mémé ?

Clémence, ma grande soeur voyait la vie lui ouvrir les bras.


Yuan








16 commentaires:

  1. Merci.
    Tu reviens quand tu veux.
    Yuan

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  2. wow! Un bijou cette lettre. ESt-ce que tu permettrais que je la lise à mes élèves quand je retournerai à l'école? C'est fou, je me demandais si tu l'avais écrite toi même!!!

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    1. Bien sûr tu peux la lire à tes élèves, j'en suis honoré.

      Yuan

      P.S. je voudrais juss te demander dans quel contexte tu lirais ça à tes élèves, quel age ont-ils, et si je pouvais avoir un aperçu de leur réactions ?

      Ce serait mieux je crois par ici; yuan20100@gmail.com

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    2. Ce ne serait pas pour tout de suite, je suis en pause post-bedaine pour encore quelques mois. Mes jeunes, en troube d'apprentissage, sont principalement en stage. Moi, j'ai à passer l'académique pour ces 16 et 17 ans. Je crois que je le ferais en jasant de tout et de rien et en faisant le comparatif entre hier et aujourd'hui.... Les valeurs, etc.

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    3. Great, comme tu le sens.
      Yuan

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  3. Un beau billet chargé d'émotions. Superbe et c'est généreux d'avoir partagé de si précieux souvenirs...

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  4. En lisant ton billet - tendre et touchant - tu m'as donné le goût de ressortir mes photos "d'antan" - grands-parents, oncles et tantes et bien sûr mes parents (jeunes) et moi - qui tout comme ta soeur Clémence - a passé des après-midi d'été dans la "balancinne essayant de toucher le ciel...

    La lettre de ton grand-père est remplie d'amour pour le futur bébé (toi.) C'est un ode à la vie, cette lettre. Merci de nous l'avoir partagée.

    Marjo

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    1. Ça a été un beau voyage pour moi aussi.
      :o)
      Yuan

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  5. Pas certain qu'une clé USB peut remplacer une boîte à chaussure, je pense à l'odeur du papier, à la texture, au fait de tenir un document original...

    Grand-Langue

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    1. ,,,,,tenir un document original... avec tout le cérémonial, l'attention, l'émotion d'ouvrir une boite qui était là bien avant nous, qui contient les mémoires de nos ancêtres, qui ont l'odeur de nos racines.
      T'as raison, y a pas un clic de souris, un clac de clavier qui arrive avec ça.

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  6. J'oubliais le plus important... ce billet est touchant!

    Grand-Langue

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  7. J'aime beaucoup ton billet. Ce qu'il reste d'une vie, c'est vrai que ça entre dans une boîte de chaussure. Mais ce qu'il nous reste surtout, ce sont les beaux souvenirs...comme ce que ton grand pere évoque dans sa lettre. C'Est simple, mais ça dit c'que ça a à dire.

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    1. Thx.
      Mon père était un homme de peu de mots mais de grande sagesse.
      J'imagine qu'il pouvait tenir ça de son propre père.
      Yuan

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