jeudi 28 juin 2012

Voyage



Ce gamin grimaçant, c'est moi, début septembre 1960, mon premier jour d'école.
Le lendemain j'haïssais déjà ça.

J'en avait pour 12 ans a haïr ça.

12 ans que j'ai mis 16 ans à compléter, don't ask.

La gallerie que tu vois en haut de l'escalier, c'était, jusqu'à ce jour, mon monde, mon univers,  mon habitat.
Ma balançoire, mon tricycle, mes chats, mon chapeau de cowboy, mon imaginaire, mes fantaisies de gosse, mon petit bonheur simple, mon petit bonheur infini, infiniment simple, infiniment sans soucis.

J'y régnais comme en mon royaume sur tous mes sujets, beaux et laids.

Tu peux appeler ça un perron si tu veux, ou même une terrasse, moi la femme dont tu vois l'ombre sur la photo, m'a appris que c'est une gallerie, pis quand la mére dit que c'est une gallerie, c'est une gallerie, point.


Est-ce que j'ai l'air d'être en position d'engager un ostination sur une base sémantique avec la dame au kodak ?
Ce qu'on voit pas sur cette image, c'est un saule que la mére avait planté à côté de la rampe, à ma droite.
Planter un saule, tu vas me dire y a rien de plus chienne, et t'as raison.

À cette époque on habitait un petit village, 300, 400, âmes (comme y disaient) max.

L'année suivantes, on déménageait en "VILLE",,,,,,,, ris pas, 10,000 personnes, en 1961, quand t'as passé les premières années de ta vie à contempler, un rapide, un pont couvert, un champ de patates, une corde à linge, du haut de ta gallerie ,10,000 personnes c'est du monde en tabarslack, assez de monde pour appeler ça une ville.

Pour commencer, ch't'ais pus assigné à la gallerie.
Bonne raison, la gallerie mesurait 4 pieds par 6, et celle d'en avant c't'ait encore pire.

Constat, plus de monde,moins d'espace.

Nevertheless, comme dirait monsieur Lefebvre( Mr.Bean), du coup, je gagnais l'accès à la cour, mitoyenne à part ça, la cour.

Bref, dans mon cas, la citadinisation c't'ait l'fun.

Des voisins proches, des ti-gars et des tites-filles dans mes âges, bien que je fusse un peu sauvage par manque d'habitude, tout ça me plaisait bien.

Dans ce village, ou je fis mes premiers pas, lachai mes premiers cris, prononçai  mes premiers mots, nous avions laissés des amarres.
Des mononcles, des matantes, des amis d'école, pis meumére, la grand-mére du côté d'a mére.

Donc au fil du temps, je suis retourné souvent dans ce village, et, à chaque fois j'y revois cette galerie, l'escalier, la rampe, le saule.

La mére avait le pouce vert et elle avait aussi un certain oeil pour l'aménagement.
En présence de ma mère, j'avais le droit de descendre l'escalier et de quitter la gallerie momentanément, sous supervision, bien sûr.

Comme tu peux voir sur la photo, le terrain était en forte pente, la mére avait peinturé quatre pneus, c'est loin mais je dirais les flancs en rouge et la semelle en blanc, et les avait disposés symétriquement de chaque côté de l'escalier, ça c'tait chaouin.  (wink,wink Michèle)

Comme on l'a vu plus tôt, pour planter un saule, pas besoin d'une maîtrise en agronomie, tu coupe une branche de deux trois pied de long dans un saule existant, appelons le "le donneur", pis tu la crisse en plein millieu du tayeur ( tire en français).

Le jour que la mére a planté le sien, le mien, le nôtre, le saule familial, je m'en souviens
.
J'étais sur la derniere marche, pour moi c'était la dernière que j'avais le droit d'aller, elle était à genoux, les mères de cette époque passaient beaucoup de temps à genoux, jardinage, lavage des planchers, cirage de ce même planchers, prières, église, elle était a genoux et remuait la terre, avec ses mains, elle remuait patiemment, de la même façon qu'elle pétrissait le pain, tout comme pour le pain, on aurait dit un rituel, atteindre la concistance désirée, connue d'elle seule, elle devait atteindre l'harmonie avec le terreau, comme elle atteignait l'harmonie avec la pâte, en silence, en osmose.

À 4,5,ou 6 ans, regarder sa mère planter un arbre, si ténu et fragile soit-il, c'est un moment de bonheur.
Bonheur innoubliable ? Peut-être.

Ça doit être pour ça que chaque fois que je passse devant cet arbre, je ne peux m'empêcher d'y jetter un coup d'oeil.


Et me voilà, 50 ans plus tard, me tenant presque au même endroit, j'trouve que j'me ressemble pas beaucoup.
La photo date de Juillet 2011. Le photographe est mon frère. 

Au fil des ans, ce décor qui a habité ma mémoire, ces premières image d'une vie a ses débuts, ce décor ou l'imaginaire se confond avec le réel, l'enfance, maintenant je le sais, le plus beau temps de la vie, s'estompe.

Avec les ans, mon royaume est disparu, y avait des garages (3), une cour en gravier, de laquelle il reste quelques traces, photos à venir, un bout de verdure, des saules avec des balancines accrochées aux branches.
Y avait même en arrière de la maison, une grange désafectée, la pouponnière de Charlotte qui produisait de nouveaux chatons aux deux trois mois

Aux yeux du gamin que j'étais, c'était  immense.


La maison fut vendu à un monsieur agé dont je me souviens plus le nom.

Je ne suis jamais retourné dans la maison parce que c'étaient des gens qu'on connaissait peu.

Mes parents ne les voisinaient pas.

La rumeur voulait que c'était une famille "spéciale".

Comment "spéciale" ? Sais pas, l'ai jamais su, mais spéciale, selon la rumeur.

Des tas de sujets dont j'ai entendu mes parents discuter, ptit village oblige, jamais je n'ai entendu mot à propos de ces gens.

J'ai cru comprendre, beaucoup plus tard, que la mére ne voulait pas qu'on s'approche du bonhomme, ou, pour être plus précis, elle ne voulait que le bonhomme s'approche de nous autres.

La maison s'est retrouvée abandonnée au fil des ans.

Le spectacle de sa décrépitude s'est étiré sur au moins trente ans.

Néanmoins elle ne s'est jamais écroulée, affaissée dangeureusement oui, mais pas effondrée.

Un jour, ça fait déjà plusieurs années, je passe devant,,,,,,pus de maison, elle avait passée au feu.

Elle avait rencontrée son destin.

Le saule lui, était resté debout, magané, mais vivant, probablement que le vent lui fut favorable, à chacun son destin, le saule allait continuer sa vie de saule.

Quand la maison disparut pour de bon, j'aurais cru que j'aurais une sorte de breakdown, de choc émotionnel, maintenant que tu me connais, tu sais que je suis attaché aux symboles de mon passé.

Mais non, à mon grand étonnement, rien, ni chaud ni froid.

Tu sais ce que je pense ?

Je pense que cette maison, une fois qu'il n'y eut plus de kid sur la gallerie, ridant son tricycle à tombeau ouvert, se balançant fougueusement, construisant des maisons de cartons pour la descendance de Charlotte, observant sa maman profiter du soleil du matin en savourant son thé, en reprisant des bas pour ses hommes, mon père, mon frère et moi, en brodant, en plantant un saule, cette maison avait cessé de vivre.

La semaine passée, je dirais le 20 ou le 21, je suis repassé par là et j'ai tiré ce cliché, la qualité est assez moyenne, je n'avait que mon cell.


On dirait bin que le saule a rencontré son Waterloo lui aussi.

Yuan

p.s.  si je peux mettre la main sur l'album de photo familial, je vais te le documenter ce billet

Yuan





2 commentaires:

  1. Bonjour Yuan,

    Nous partageons deux souvenirs en commun toi et moi : les saules et une maison brûlée.

    Les saules - je demeurais aux Saules (près de Québec lorsque j'étais enfant)alors tu peux imaginer une petite ville de saules... ? C'est très beau à condition que les dits saules ne soient pas trop près des maisons.

    La maison brûlée - notre première que mon père et grand-père maternel avaient bâtie de leurs mains. Lorsqu'elle avait passé au feu, nous étions déménagés à Québec - ma mère aurait dû s'appeler Ulysse - elle a eu sa période où elle déménageait aux six mois ou un an maximum. J'ai encore des cauchemars de boîtes...

    Lorsque j'ai appris que ma première maison qui fut celle de mon enfance avait passé au feu, j'ai ressenti une perte émotive. Tant de beaux souvenirs dans cette maison tout comme les souvenirs d'enfance et avant que ne commence les déménagements de ma mère.

    Bonne journée et fin de semaine Yuan (oui, je sais, ça fait deux fois que j'écris ton prénom. T'ai-je dit que je le trouvais beau et comment dire pour ne pas te faire trop rougir... sensuel, convient-il... ?

    Ne connaissant pas tes idées sur le sujet - est-ce que je devrais te souhaiter une bonne fête de la Confédération... ? Tu le prends ou non, selon.

    Marjo

    P.S. Excuse ce long commentaire.

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  2. Y a qu'une façon de répondre à ton commentaire, un billet.

    Bon week-end à toi aussi.

    Je sens que Michèle nous réserve une petite pointe de jalousie.

    Yuan

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